5 November 2015

Vincent

Depuis le confort de sa chambre d'adolescent, Vincent ne vois pas le danger. Vincent n'a peur de rien, croit-il. Vincent ne sait pas ce qui l'attend.
«Si on racontait ma vie, qu'est ce qu'on dirait de moi ? En quoi suis-je différent ? Je suis pas beau ni laid, de ce que j'ai vu dans les vestiaires, mon corps est plutôt normal. Mes notes sont moyennes ; ma vie est moyenne. Qu'est ce qui fait que je suis différent ? »
Le visage d'en l’entrebâillement de la porte, Juliette s’esclaffe :
« Oh Vincent, je t'ai juste demandé pourquoi tu as mis ce t.shirt, tu me fatigues avec tes auto-psychanalyses d'ado »
« Dégages merdeuse » répond y t-il en fermant la porte.
Une fois les politesses matinales avec sa sœur échangées, Vincent lu le mot qu'elle lui avait apporté, une note de leur parents, encore une fois absents. Vincent en a l'habitude, il est débrouillard. Après tant d'années seul, à s'occuper de lui et de sa sœur, il n'a plus peur de la solitude ni de l'abandon. Ça tombe bien. Vincent n'a pas mis le nez à la fenêtre, il n'a pas vu ce qui se passe dehors. Ce qui a commencé pendant qu'ils dormaient. Le sang, les corps qui s'entassent. La maison est trop loin de la rue pour qu'ils entendent les pleurs, les cris de désespoir, la rage de ceux qui en ont encore.
Alors qu'il descend vers la cuisine, on frappe à la porte, le laitier sûrement se dit le garçon. Il s'apprête à ouvrir lorsqu'il entrevoit une silhouette à travers le rideau. « Pourquoi le laitier sonnerait-il d'ailleurs ?» pense Vincent.
Bang bang, des coups de poings s'écrasent durement contre la porte. Vincent ne prend pas le temps de demander qui est là, il vient de voir Juliette debout dans la cuisine. Depuis la fenêtre au dessus de l’évier elle a vu la camionnette postée devant leur petit bout de jardin. Son index gauche devant sa bouche et la main droite levée devant elle, elle fixe son frère le visage blafard.
Vincent sait que ce ne sont pas des nazis à sa porte, mais il sait aussi que cette journée va être la plus longue de sa vie.
Devant sa porte, les militaires s'impatientent. Ils doivent vider le quartier dans la prochaine heure, pas de temps à perdre.
Vincent se baisse et file vers Juliette sans que les hommes dehors ne puissent le voir. Il prend la main de sa sœur et l’emmène vers la porte du jardin. Ils sont tous deux agiles et n'ont aucun mal à se faufiler discrètement vers les champs à l'arrière de la maison. Entre les herbes hautes, ils voient leur voisins se faire emmener, maison par maison dans les camions. Vincent n'avait jamais vu de morts. Maintenant, c'est fait. Monsieur Peterlabst a chanté l'hymne international. Il n'aura suffit que d'une balle pour le faire taire. Juliette cache son visage contre son frère. Elle regarde la scène qui se déroule devant elle comme on regarde un film d'horreur, une main devant les yeux pour savoir se qu'il se passe sans vraiment le voir. Vincent allume la radio sur le téléphone qui ne lâche jamais sa main. Le journaliste donne un nom à ce qu'il voit mais ne comprenait pas encore « putsch des militaires d’extrême droite». Le pays est sans dessus dessous, le président libérale a été tué pendant la nuit. A coup de fusil, les militaires ont pris les rennes du gouvernement. Depuis, ils font le tour des quartiers, karcher à la main. Vincent n'a aucun doute sur son sort et celui de sa sœur. Leur peau matte n'est pas tant dû au soleil qu'a un patrimoine génétique de plusieurs milliers d'années. « Chocolat » comme disait leur grand-mère. « Juliette, ne fais pas les yeux doux à ce garçon, on ne peut pas faire confiance aux noirs » avait-elle réprimandé. « Mais mamie, je suis noire aussi » avait répondue la jeune fille. « Non ma petite, tu es chocolat » avait expliqué la vieille femme. Vincent sourit au souvenir de cette soirée où ils s'étaient abrités de la neige au cinéma. Puis son visage s’aggrava, noir ou chocolat, ils ne sont pas les bienvenus aujourd'hui.
Vincent n'a toujours pas peur. L'adrénaline étouffe la peur et les herbes hautes les cachent. De là où ils sont, ils ont une bonne vue sur la rue en contre bas. Il a confiance en lui ; Juliette aussi. Mais on peut difficilement passer sa vie dans un champs et ils n'y finiraient sûrement pas la journée, Vincent le sait. « On doit aller plus loin » explique-t-il. « Où ? » s’inquiète Juliette, « tu crois pas que maman et papa vont revenir pour nous chercher ? » demande-t-elle. « Je ne crois pas qu'il le puisse, il ne vaut mieux pas compter sur eux », « encore une fois » pensa-t-il mais il ne dit rien. Juliette ne l'aurait pas toléré, elle leur fait toujours confiance. 
 A suivre...

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